La méditation peut être pratiquée peu importe l'activité à laquelle nous sommes affairés. Ce matin, je vous propose de changer de point de vue sur le qigong, qui souvent est vécu en tant qu'effort physique, tant que les bras et les jambes n'ont pas trouvé le chemin pour se relier au reste du corps en fluidité.
Je me souviens très bien du premier jour où j'ai perçu la légèreté des bras en Qigong, qui n'était pas pour autant le début d'une perception claire de ce qu'est le Qi, encore moins une conscience de comment le faire circuler. Pour autant, lâcher prise ou simple conséquence de la pratique, je ressentais au bout de quelques semaines les bras tenir seuls quelques instants, comme en flottement, comme dans l'eau, là où les premières séances n'avaient laissé comme impression qu'une tension immense dans les trapèzes, dans les épaules et dans les jambes. Revenir à la simplicité de la globalité demande une abondance de pratique, de patience, d'écoute et de compréhension du corps par d'autres voies que celle du muscle a laquelle nous sommes culturellement habitués. La sensation de légèreté tint à ce moment quelques instants, puis bien sûr revinrent en masse les douleurs, la tension, l'entropie.
Pour que le Qigong devienne vivant, nous avons besoin de rentrer dedans alors que nos carapaces nous bloquent l'accès à la fluidité. Comment faire alors? Comment se sortir de nos duretés construites en réaction à la fois à l'environnement, à notre propre passif, et à la gravitation? Le placement des appuis et la cohérence de la structure sont une chose, mais ne nous donnent pas forcément les clefs de l'attitude intérieure à adopter pour transformer un chemin qui reste de l'ordre de l'inconnu un bon moment, tant notre cerveau a besoin de temps pour assimiler. Car il s'agit bien du cerveau principalement, n'en déplaise à certaines croyances qui mettent tout sur le dos du corps, voire du Qigong lui-même.
Il est assez peu connu que la peau, dans toutes ses différentes couches, est à la fois le plus grand organe du corps, et représenterait un poids superieur à celui du squelette. Mais il est encore plus surprenant -et plus utile- d'apprendre que le derme est de même origine embryologique que le système nerveux lui-même. Tous deux proviennent de la même couche lorsque l'humain n'est pas encore de la taille d'un haricot in-utero. Tout comme les yeux font partie intégrante du système nerveux central, la peau et sa sensibilité plus ou moins grande selon les individus est elle aussi du cerveau. Elle contient d'ailleurs des milliers de neurones, chose découverte récemment.
Nous pouvons penser avec la peau (ne dit on pas que les mains "savent" lorsqu'on parle de métiers manuels!), avec le ventre (dit "deuxième cerveau"), comme avec le cœur qui lui aussi, a son propre réseau de neurones situé sur sa face posterosuperieure, de la taille d'une piece de monnaie.
Si la peau est du cerveau, façon de parler évidemment, il n'est pas étonnant que détendre les fascias semble plus difficile que de détendre un muscle qui ne répond qu'aux injonctions binaires contraction-relâchement. Or voilà où je souhaite en venir après cette petite ellipse: nos tensions, d'après mon expérience, proviennent plus de la tension résiduelle contenue dans nos fascias, que dans le muscle lui-même. Et c'est dans le fascias, entre les fascias, que circule l'énergie. Il est facile de ne pas ordonner à un muscle de se tendre, hors problème psychomoteur, et selon le muscle dont on parle évidemment -certains sont plus accessibles à la volonté que d'autres en vertu du schéma corporel. Mais rentrer dans la conscience du fascia est plus difficile car il n'obéit pas à la volonté uniquement mais à l'intention, et n'est connu en anatomie que depuis une période relativement récente. Ce qui fait de lui un relatif inconnu, charge à nous de le faire peu à peu rentrer dans la conscience que nous avons de nous-mêmes. Le fascia protège et donne la forme au corps. Libéré, il libère en retour des stress et mémoires plus ou moins traumatiques dont il s'était auparavant fait le gardien. Le corps suivra de lui-même si le fascia est "entendu", n'ayant plus besoin de protéger les structures qu'il enveloppe en faisant effet tampon. Pour atteindre son niveau de relâchement, pour parler son langage, nous allons tout à la fois devoir accepter de nous détendre mentalement et émotionnellement, choses dont nous nous prévenons généralement sans nous en rendre compte, pris dans un rythme qui contrarie nos équilibres biologiques, et notre santé a tous les niveaux.
Passer de la volonté à l'intention consiste d'abord à ne plus fonctionner dans l'unilateralité. C'est à la fois écouter, et agir. Etre au contact des choses et de soi-même. Recepteur-emetteur, dans le même double mouvement: ne pas résister mais se faufiler dans la perception des mouvements les plus fluides et les plus fins, y respirer. Chaque muscle, chaque fascia, chaque tendon ou articulation, la moindre petite membrane peut s'orienter vers la voie du renouveau car tout est en perpétuel mouvement, et tout se renouvelle en permanence à l'intérieur. A nous de nous renouveler également en conscience, grâce à une focalisation différente sur nous-mêmes.
Ce matin, au lever du jour, le premier des six Qigong a été pratiqué une vingtaine de minutes face à la fenêtre, alors que la ville était encore en silence. Réveil des méridiens, mobilisation du souffle, bâillements après une nuit reposante. Les yeux brillants du rêve encore à l'affleurement, défocalisés et laissant venir vers la rétine l'image des arbres, leur couleur et leur lent balancement. L'air, vécu spontanément comme s'il s'agissait d'eau paisible. Et une direction assumée des bras: vers le haut et vers l'avant, plongeant dans l'espace environnant du Daochang, mon lieu de pratique. L'énergie circulant à la jonction de toutes les parties du corps, baignant les tissus, les imprégnant d'une chaleur rafraîchissante (paradoxe assumé), j'ai pu une fois de plus sentir spontanément la gratitude émerger, d'avoir rencontré le taichichuan sur ma route. Gratitude de l'enseigner, malgré la difficulté de traduire à mon tour en langage compréhensible une manière de vivre très spéciale, et qui ne demande peut-être pas plus d'efforts que tout langage, que toute connaissance authentique et traditionnelle, quelle qu'elle soit.
Le Qigong comme toute chose, peut-être pratiqué en tant que méditation. L'unité intérieure dépend de l'énergie qu'on est prêt à lui consacrer. Être dans L'ÉTAT de qigong et y engager une DIRECTION, tel un mouvement qui s'élance vers l'ouverture, est une des clés de l'intention qui nous laisse passage vers la légèreté. Sans cette présence, les bras ne sont comme tout le reste, qu'un poids de plus à supporter. Voila mon invitation du jour: vivre consciemment la légèreté, et la maintenir. Que nous ayons ou non conscience de l'énergie, elle trouvera et nous montrera son propre chemin, toujours unique, toujours neuf
Merci Weijia pour ce témoignage magnifiquement écrit. Limpide et rafraîchissant ce petit rappel à laisser la légèreté imprégner nos facias, tous nos organes et toutes les strates de notre vie.